Guy Lescalier

Le 6 juillet 1962, 
Oran

Témoignage de son épouse Andrée Lescalier.

Mon époux était instituteur à l’école de Misserghin, à quinze kilomètres d’Oran. En ces premiers jours de juillet 1962, nous ne savions pas trop ce qui se passait à Oran. Nous ne circulions plus en dehors du village ; les téléphones personnels étaient rares, la Poste ne fonctionnait plus. Il y avait de l’agitation, c’est tout ce qui filtrait. Avec le directeur de l’école, M. Soler, mes cousins Llorca, instituteurs aussi, des collègues et des amis, nous passions le temps sur la terrasse de l’école, pour certains dans l’attente de la date de leur départ en vacances en métropole ; ils avaient leurs places retenues. 
Mes parents habitaient rue de Tlemcen à Oran. Mon père, Joseph Vallet, avait été enlevé le 5 juillet mais nous ne le savions pas, nous n’avions pas de nouvelles. 
Le 6 juillet, tôt le matin, mon mari est parti à Oran pour avoir des places, avion ou bateau, par mon oncle Alfred Vallet, cadre à la Transat. J’ai su par la suite que mon oncle avait été enlevé la veille. Il n’a jamais été retrouvé. Mon mari n’a jamais été retrouvé. Dans le courant de cette matinée du 6 juillet, mes cousins et amis sont venus me dire qu’il se passait du mauvais à Oran et nous avons commencé à nous inquiéter pour mon mari. Dans l’après-midi, mon cousin s’est rendu à la gendarmerie, où ces messieurs les gendarmes lui ont annoncé les faits suivants : ils rentraient d’Oran dans leur fourgon quand ils ont vu mon mari avec d’autres Européens arrêtés à hauteur des Arènes d’Oran (sortie d’Oran sur la route de Misserghin) debout, près de leur voiture, entourés d’Arabes en tenues disparates, militaires et armés. Ils ont pensé que ce n’était qu’un contrôle d’identité (alors qu’ils savaient pertinemment ce qui s’était passé la veille, le 5 juillet). Ils n’ont pas jugé bon de venir m’avertir, encore moins de s’inquiéter de son retour ou non, à Misserghin. C’est bien une des preuves qu’ils avaient reçu des ordres de non-intervention de nous protéger. Ensuite… Ensuite… toute la désespérance qui a suivi : démarches au commissariat, au consulat, au rectorat, pour rien. La Croix-Rouge a été inexistante, pour ne pas dire au-dessous de tout. Ils sont venus à Misserghin, me demander à moi-même ce qui s’était passé, probablement pour n’avoir pas à transcrire le rapport de gendarmerie. Je suis restée un an en Algérie, (année scolaire 1962-1963) pour essayer de savoir. J’ai visité des charniers en compagnie d’Arabes amis pour retrouver des affaires, en vain. Pour que ma 2 CV me soit remboursée pour vol, j’ai dû intenter un procès à la MAIF, comme cela a dû se produire pour tout le monde et avec toutes les compagnies d’assurances. Mon père, qu’un ami chasseur arabe avait reconnu, a été sauvé et embarqué sur Marseille dans la nuit du 8 juillet. Ma mère était à Marignane le jour où « nos gendarmes » sont arrivés, rapatriés (c’étaient des Français). Elle leur a sauté dessus en les insultant, provoquant une émeute et a failli être emprisonnée. 
Tout cela, je ne l’ai su que bien après… 
Guy Lescalier,
29 ans