André Banon

Le 8 mai 1962,
Sur la route entre Alger et Le Guelta

Témoignage de son frère Philippe Banon.

Le Guelta est un village situé sur la côte ouest d’Alger, entre Alger et Oran, à 80 km d’Orléansville. Ce village a été électrifié seulement en 1955 à partir d’une ligne électrique venant de Ténès. Début 1957 l’alimentation a été interrompue définitivement à la suite d’actes de sabotages terroristes, de même que les lignes téléphoniques. Le ravitaillement du village était assuré de façon hebdomadaire, tant que l’armée française a disposé de troupes pouvant assurer la protection du convoi composé d’un car et de voitures particulières. Ce convoi fut attaqué en novembre 1956 entre Le Guelta et El Marsa, douze militaires et deux civils furent tués dont le père Pfister, curé du village de Rabelais. À partir de cette date, cette liaison ne fut plus assurée de façon régulière. La zone du Guelta fut déclarée interdite et dès 1959 nous circulions à nos risques et périls. Deux regroupements de la population indigène avaient été réalisés entre Paul-Robert et Le Guelta, au lieu-dit Bellota et à Bordj-Béal. Ils étaient sous la protection de l’armée française. En janvier 1962, mon frère André Banon avait été convoqué à la préfecture d’Orléansville. Au cours de cette réunion on lui avait annoncé le retrait des troupes françaises des deux postes signalés ci-dessus et leur remplacement par l’A.L.N. (Armée de Libération Nationale algérienne). En mars de la même année, accompagnant mon frère à Bordj-Béal, j’ai constaté l’absence de l’armée française et vu le drapeau algérien hissé sur le mât de l’ancien camp. Pendant que nous discutions avec les ouvriers agricoles, un Algérien armé d’un fusil s’est approché de nous tandis qu’un autre, avec une arme automatique, procédait à la fouille de notre véhicule. Nous étions les seuls Européens dans un rayon de 15 km.

Concernant l’enlèvement d’André Banon, voici les éléments en notre possession : André Banon est parti le 8 mai 1962 d’Alger, à bord d’un camion immatriculé 704 G 94, accompagné d’un ouvrier Saïdi Abdelkader, dit Daka, en direction du Guelta via Orléansville. Aucune liaison téléphonique n’étant possible entre le Guelta et Alger, sa famille n’avait d’autres solutions que d’attendre son retour pour avoir de ses nouvelles.

Les documents et les renseignements recueillis ont fourni plusieurs hypothèses-:

1 – enlèvement près de la « ferme des Orangers » : (archives SHAT).

Le nommé Daka, enlevé en même temps que mon frère mais relâché ensuite, aurait déclaré que les faits s’étaient déroulés à 6 km d’Orléansville sur la route de Paul-Robert. Puis ils auraient été séparés à la Maison forestière d’Aïn-Texa. Ce même document précise que le lieu de détention était des grottes situées tout près de là et signale également la présence d’un autre camp de prisonniers au lieu-dit Tarzout. Ce lieu d’enlèvement ne semble pas exact, car mon frère a été vu par plusieurs personnes le 8 mai plus loin que le lieu précité : à Rabelais par M. Dedebant et à Paul-Robert par un officier SAS et des civils.

2 – enlèvement à Bordj-Béal : (lettre du 27-décembre 1967).

Cette hypothèse est envisagée par l’officier SAS de Paul-Robert et pourrait être possible puisqu’à cet endroit, en mars 1962, il existait un camp de l’A.L.N. (voir ci-dessus).

3 – enlèvement sur la ferme du Guelta : (renseignement de la gendarmerie).

Un agriculteur de cette commune l’aurait rencontré, ce qui laisserait supposer qu’il était arrivé à destination. Malgré un télégramme de la gendarmerie de Ténès faisant état de bruits de sa disparition dès le 15 mai, la brigade de gendarmerie du Guelta ne s’est rendue sur l’exploitation, à 1 km de leur poste, que le 21 mai pour constater le saccage des bâtiments et la disparition de tous les ouvriers agricoles y habitant ainsi que la perte du bétail. Il est également noté (SHAT) qu’outre André Banon, trois autres personnes : le garde-champêtre Mohamed Astfaoui, un ouvrier agricole (peut-être Saïdani Mohamed, déjà torturé en 1957, lors de l’incendie de la ferme car il avait voulu libérer le bétail enfermé dans l’écurie) et un ancien harki désarmé par les militaires français qui avait trouvé refuge chez mon frère (peut-être Kailous Mohamed dit Pépiou), avaient été enlevés par le F.L.N. dans le secteur de Ténès.

Que dire de plus si ce n’est que chacun des membres de notre famille n’ont jamais parlé durant 40 ans de notre frère en dehors du cercle familial. C’est dire combien notre douleur était vive. Les obligations familiales et professionnelles nous ont obligés (heureusement) de faire abstraction de cette blessure pour faire face aux difficultés rencontrées par chacun.

Et que dire des émotions que nous avons ressenties notamment lors du Journal Télévisé du 12 avril 2004 relatif à l’assassinat du jeune Américain en Irak et du ressentiment que nous avons alors éprouvé à l’égard de l’État français qui, par l’intermédiaire de ses représentants, n’a pas pris pleinement ses responsabilités pour sauver la vie des personnes menacées alors que tout le monde était au courant des faits. La technique « d’ouverture du parapluie » était déjà connue des personnes responsables !

André Banon avait 28 ans.