Guy Billes

Le 5 mai 1962
Sur la route entre Béni-Mered et Alger

Témoignage de sa fille Élise Aguerra, née Billes.

Il était environ 9 h 30 du matin, lorsque lui et trois de ses collègues de travail ont été enlevés alors qu’ils se rendaient à leur travail, convoqués par leur patron, la Sté SPAC à Alger pour une mission. Ne le voyant pas rentrer avant le couvre-feu, ma mère a aussitôt alerté les autorités de Blida et de Zéralda (où travaillait mon oncle). C’est à partir de ce moment-là que mon destin et celui de ma famille ont été changés. Nous avons connu l’enfer, la peur, la souffrance… Maman a fait tout ce qui était en son pouvoir pour retrouver mon père, frappant à toutes les portes, mais en vain. Suite à une information venant d’un Algérien, elle a pu situer le lieu où étaient retenus mon père et ses collègues, entre Blida et Chréa. Une petite patrouille s’est rendue sur place, mais les rebelles venaient de s’enfuir. Sur place, les feux de camps étaient encore chauds et des affaires de mon père ont été retrouvées sur place. Plus tard, le 2e Bureau de Blida a surpris une Algérienne qui transportait les papiers de mon père et d’autres objets, mais hélas ! rien ne nous a été rapporté. Mon frère est parti avec mes grands-parents, mais maman et moi, sommes restées jusqu’en décembre 1962, n’abandonnant pas l’espoir de retrouver mon père. Maman se battait tous les jours auprès des autorités, de la Croix-Rouge et autres organismes, ce qui nous a valu de déménager plusieurs fois, car le F.L.N. nous recherchait et nous menaçait.

Je pleurais toutes les nuits, et je réclamais mon père, maman était désespérée, les mitraillettes me terrorisaient. Parfois on sonnait à la porte en pleine nuit et maman m’étouffait pour m’empêcher de pleurer, car ils nous auraient tuées. Comment voulez-vous grandir normalement comme les autres fillettes, quand vous avez connu l’horreur et la peur ?

Nous avons dû regagner la métropole quand le danger est devenu trop grand. C’est alors que le malheur a continué, le mépris des gens envers nous, la pauvreté, le chagrin et la recherche continue d’informations. Des papiers à remplir, des démarches pour obtenir nos droits, le rejet des autres enfants à l’école.

Aujourd’hui, après 41 ans, je suis toujours atteinte d’un psoriasis dont je ne peux me débarrasser.

Maman n’a jamais voulu parler de l’Algérie et de papa avec nous. À chaque fois, sa gorge se serre et les mots ne viennent pas. Alors j’ai gardé mon chagrin au fond de moi jusqu’à mes 30 ans et là, j’ai voulu en savoir plus pour évacuer mon chagrin. Je sens au fond de moi, que je ne pourrai pas vivre ma vie de femme tant que je ne saurai pas la vérité…

Guy Billes, 31 ans