Sur la route entre Fort-l’Empereur et Birkadem
Témoignage de son épouse, Mme Michelle Delattre, née Bertora, veuve Blais.
Deux mois environ avant l’indépendance ma fille Valérie, alors âgée de trois ans et demi et moi-même, fûmes « expédiées » en France par mon mari Jean-Pierre Blais, ceci dans le seul but de nous mettre à l’abri. Il restera à Alger afin de continuer son activité de dessinateur-projeteur au siège de la SETBA, route de Tixeraine à Birkadem. Vers le 25 juillet 1962, laissant ma fille chez mes beaux-parents à Bordeaux (eux aussi alors récemment rapatriés), je rejoignis mon mari à Alger, et nous prîment la décision de quitter définitivement notre terre natale dès la première quinzaine d’août 1962. Le 2 août 1962, mon mari me laissant à la maison (Cité des fonctionnaires à Fort-l’Empereur) partit au volant de sa 4 CV afin de récupérer le solde de son salaire auprès de son employeur. Je ne le revis plus jamais et aucune trace de son véhicule ne fut retrouvée. Dès le lendemain matin, je me rendis auprès du poste militaire le plus proche pour signaler cette disparition. S’en suivit alors une très longue attente chargée d’espoir et de désespoir, de démarches et de recherches vaines.
Afin d’être en plus grande sécurité, j’abandonnai mon logement pour habiter chez des amis en pleine ville, ainsi que mon emploi au sein de la direction des T. P.-pour travailler dans une Caisse de Retraite privée.
Pendant une année, j’ai fait beaucoup de démarches auprès des autorités en place. J’ai même visité des prisons, accompagnée par des représentants du Croissant-Rouge. Aucun espoir ne m’a été donné, mais moi, j’y croyais…
Ma famille et mes amis avaient quitté notre Algérie qui n’était plus française, mon enfant me manquait terriblement et son absence, ajoutée à ma solitude, je quittais le cœur rempli de larmes cette terre chérie pour rejoindre la France, cette inconnue. Je suis rentrée définitivement en France en août 1963 et tout le dossier de disparition fut déposé chez Me Vaysse-Tempé, « avocat des rapatriés ». Il ne m’a jamais demandé d’honoraires. J’ai eu des frais avec un de ses confrères, qui sanctionnait les « résultats ». Depuis 1968 ou 1969, je n’ai plus eu de contact avec ce cabinet et n’ai donc pas récupéré les pièces du dossier. Je n’ai jamais touché une quelconque indemnisation, sauf celle allouée aux rapatriés (10.000 F je crois, à l’époque, en 1963 ou 1964). Je tiens à signaler que ma belle-mère avait, elle aussi, déposé un dossier à Bordeaux. Je n’en ai jamais eu connaissance, car nous n’avions plus de relation. Son chagrin de mère avait rejeté toute affection envers ses autres enfants et petits-enfants. En 1970, je me suis remariée avec un « patos » qui s’était engagé pour l’Algérie. Il n’ignore rien de mon passé et aime ma fille comme la sienne. À chaque découragement, devant les difficultés de la vie, je me disais que ce n’était pas grand chose à côté des souffrances de certains, et surtout de celles des disparus. Voilà 42 ans, que ma vie continue avec des bonheurs, des espoirs, des malheurs, des pleurs et des rires. Ma famille s’est agrandie, nous sommes tous unis. J’ai pris des cheveux blancs, des rides… de l’âge. Je n’ai pas oublié !