Anne-Marie Hortal

1er juin 1962,
Sur la route entre Koléa et Douaouda

Témoignage de son fils Charles Hortal.

Satisfaction et tristesse. Ce sont les sentiments que votre appel a éveillés en nous. Satisfaction bien sûr, parce que renaît l’espoir de voir déboucher enfin une réelle communication des enquêtes de la Croix-Rouge sur cet enlèvement et sur ce qu’a pu devenir notre chère disparue. Mais surtout grande tristesse lorsqu’on se remémore les affres par lesquelles nous sommes passés, en imaginant les souffrances, les angoisses, les tortures qu’elle a dû subir avec, au fond d’elle-même, l’espoir de recherches immédiatement entreprises et qui n’ont jamais eu lieu. La peine et la rage nous étreignaient tous, en assistant impuissants à la passivité à laquelle était condamnée notre armée. Mais sera-t-il possible un jour de savoir ? Ci-après, dans leur cruelle brutalité, les faits tels qu’ils se sont passés. Mère également de feu M.-Hortal Paul et de Mme-Hortal Yvette domiciliés à Narbonne.

Circonstances.

En fin de matinée du 1er juin 1962, dans le département d’Alger, sur la route départementale reliant les communes de Koléa et Douaouda, ma mère, Mme-Hortal, domiciliée à Douaouda, ainsi que M. Robert Péres, un jeune camarade qui avait accepté de la conduire à Koléa dans sa voiture personnelle malgré l’insécurité, ont été victimes d’un enlèvement par des musulmans (éléments du F.L.N. ou Force Locale, ce qui était équivalent). Depuis ce jour, toutes les démarches possibles et imaginables ont été effectuées. Mes beaux-parents, M. et Mme Jaquot, de Boufarik, sont allés déposer plainte à la gendarmerie encore française, ainsi qu’au commissariat de police, dont dépendait la Force Locale de Koléa. Mon épouse a alerté les militaires français de Sidi-Ferruch, qui ont répondu qu’ils n’avaient pas l’autorisation d’intervenir. Je suis moi-même allé jusqu’à Rocher Noir, rencontrer M. Farès, devenu gouverneur temporaire de l’Algérie. Mon épouse est revenue à Douaouda pour essayer d’obtenir des renseignements auprès de la population indigène par l’intermédiaire d’un Arabe habitant le village (et soupçonné d’avoir des liens avec le F.L.N.). Rien n’y a fait. Ma famille et moi sommes rentrés en France le 14 juin 1962, mais nous n’avons pas cessé pour autant nos démarches. En Algérie, mon beau-père écrivait ou allait régulièrement voir le consul. Nous-mêmes écrivions souvent à ce dernier et par la suite à l’ambassadeur également. Lettres au Secrétariat des Affaires Algériennes ont suivi en 1962, 1963, 1964, 1965. En 1962, nous avions même écrit au président de la République. Mes beaux-parents ont rencontré quelques fois les représentants de la Croix-Rouge en Algérie, tant qu’ils sont restés. Bien sûr, nous avons eu des réponses à nos courriers, mais toujours du même genre, ne laissant jamais grand espoir. Puis, un jour de 1966, nous avons été avisés de la déclaration judiciaire du décès de notre mère prononcée par le tribunal de grande instance la Seine, à la requête de Paul Hortal. Ni Yvette Hortal, ni moi-même Charles Hortal, n’avions voulu en faire la demande ne voulant pas par cela libérer l’État de sa responsabilité, et aussi, sans doute, compte tenu d’un vain espoir. Nos pensées vont également à Robert Péres et à tous nos disparus d’Algérie.

Anne-Marie Hortal
64 ans