Le 14 juin 1962,
Mouzaïaville
Mouzaïaville
Témoignage de son épouse, Colette Ducos-Ader.
Les raisons de mon combat :
Originaire de la Mitidja où mes parents étaient agriculteurs, j’ai épousé en 1959, Georges Santerre, père de mes deux enfants. Mon mari, né en 1934, dirigeait son exploitation agricole avec l’aide d’ouvriers agricoles musulmans dont la plupart, logés sur place, ont été enlevés avec lui. C’est dire les liens solides qui l’unissaient à la population arabe dont il parlait et écrivait la langue. Début juin 1962, devant l’insécurité croissante, je suis venue en France, à sa demande, avec mes deux enfants. Georges Santerre a été « enlevé » le 14 juin 1962, puis « porté disparu ». Sa famille, sa belle famille, les ouvriers, les amis, ont fait de nombreuses démarches sur le terrain. Les renseignements alors obtenus ont été contradictoires : tantôt certitude de vie, tantôt mort dans des lieux différents, à des dates différentes. Depuis plus de 40 ans je me bats pour obtenir la vérité sur la mort de Georges Santerre. Mon cas n’est pas isolé. Le cessez-le-feu du 19 mars 1962, qui était censé mettre fin à huit années d’une guerre éprouvante, a été suivi du massacre des populations civiles et des Harkis ; nous nous en tiendrons aux chiffres officiels aujourd’hui connus, c’est-à-dire 3 018. Ce chiffre est important au point que si de tels faits frappaient les soixante millions de Français de la France actuelle, il faudrait proportionnellement dénombrer 100 000 disparus. Des présomptions de décès et des actes de décès contestables ont été remis aux familles dont certaines, lasses de l’inertie opposée par les pouvoirs publics et redoutant de réveiller d’insupportables douleurs, ont interrompu leurs démarches.
Rappel des faits. Dès juin 1962, après les enlèvements massifs qui ont ébranlé la communauté « pied-noire » 300 familles se regroupent à Alger et entourent M. Domard. Cette première association réclame : la libération des séquestrés, la possibilité pour les associations humanitaires (Croix-Rouge, Secours Catholique) de visiter les camps d’internement. À la même époque, en métropole, est créée par Robert Bichet : l’ADDFA.
Rappel des faits. Dès juin 1962, après les enlèvements massifs qui ont ébranlé la communauté « pied-noire » 300 familles se regroupent à Alger et entourent M. Domard. Cette première association réclame : la libération des séquestrés, la possibilité pour les associations humanitaires (Croix-Rouge, Secours Catholique) de visiter les camps d’internement. À la même époque, en métropole, est créée par Robert Bichet : l’ADDFA.
Cette association est très active : les premières listes d’« enlevés » sont établies, les familles livrent de nombreux témoignages. Les parlementaires sont informés. Fort des témoignages reçus, le sénateur Dailly demandera à maintes reprises des explications à M. Jean de Broglie, alors chargé des Affaires algériennes. Des divergences de vue au sein de l’ADDFA induiront la création d’une autre association : l’ASFED, dont l’un des présidents fut le colonel de Blignères.
Actuellement c’est la SFDA (Souvenir des Français Disparus en Algérie), créée par le colonel Bautista en 1998 et l’ARMR (Association des Rapatriés Mineurs au moment du Rapatriement) qui traitent des problèmes liés aux « enlevés portés disparus », dont je suis vice-présidente, avec pour mission l’étude des séquelles de la guerre d’Algérie en ce qui concerne les enfants de disparus et des orphelins. Toutes les grandes associations de rapatriés travaillent également sur ces problèmes. Mais, malgré les innombrables démarches tant individuelles qu ‘associatives, force est de constater qu’en 2002 nous étions, malgré tous nos efforts, au point mort. L’annonce de l’année de l’Algérie en 2003 impulsée par Hervé Bourges, faisait apparaître le projet de réconciliation avec l’Algérie. Comment oser parler de réconciliation alors que les questions douloureuses des Harkis, des victimes civiles, des « enlevés portés disparus » de la guerre d’Algérie ne sont toujours pas réglées, ni même inscrites au programme de cette réconciliation annoncée ? C’est alors que nous avons décidé d’agir, c’est-à-dire de faire connaître nos impatiences et nos attentes.
Actuellement c’est la SFDA (Souvenir des Français Disparus en Algérie), créée par le colonel Bautista en 1998 et l’ARMR (Association des Rapatriés Mineurs au moment du Rapatriement) qui traitent des problèmes liés aux « enlevés portés disparus », dont je suis vice-présidente, avec pour mission l’étude des séquelles de la guerre d’Algérie en ce qui concerne les enfants de disparus et des orphelins. Toutes les grandes associations de rapatriés travaillent également sur ces problèmes. Mais, malgré les innombrables démarches tant individuelles qu ‘associatives, force est de constater qu’en 2002 nous étions, malgré tous nos efforts, au point mort. L’annonce de l’année de l’Algérie en 2003 impulsée par Hervé Bourges, faisait apparaître le projet de réconciliation avec l’Algérie. Comment oser parler de réconciliation alors que les questions douloureuses des Harkis, des victimes civiles, des « enlevés portés disparus » de la guerre d’Algérie ne sont toujours pas réglées, ni même inscrites au programme de cette réconciliation annoncée ? C’est alors que nous avons décidé d’agir, c’est-à-dire de faire connaître nos impatiences et nos attentes.
L’aval. Dès octobre 2002, s’est mis en place un groupe de travail concernant les « portés disparus ». Il est constitué de Mgr Pierre Boz, du général Maurice Faivre, d’historiens et de familles de disparus. Ont été demandés : la publication du rapport du CICR, l’accès aux archives , la reconnaissance de la souffrance morale et des préjudices subis , la création d’une commission mixte chargée d’établir un rapport circonstancié sur le douloureux problème des portés disparus. À ce jour, nous avons obtenu le rapport du CICR assorti d’une liste de noms de disparus. Même si la mission du CICR a été de courte durée (de mars à septembre 1963) et semée d’embûches, ce rapport présente un intérêt historique et humanitaire évident. S’agissant des archives nous restons en relation étroite avec le ministère des Affaires étrangères. Selon les informations livrées, les archives relatives à la guerre d’Algérie sont regroupées et classées au Quai d’Orsay où sont recensés 3 000 dossiers de disparus. Après une demande dans ce sens et obtention d’une dérogation, les familles pourront avoir accès au dossier de leur parent disparu dès l’année en cours (2004). Il s’agit là d’une avancée certaine dans notre quête de la vérité. Nous souhaitons qu’à l’avenir les impératifs liés au « secret défense » soient moins catégoriques et que l’accès aux archives soit plus facilement accordé lorsque sont en jeu des intérêts d’ordre humanitaire, pour ne pas dire simplement humain, ce qui était bien le cas des portés disparus pour lesquels il aura fallu attendre plus de 40 ans avant que ne s’ouvrent aux familles les portes du Quai d’Orsay…
Deux points restent à régler, qui nous tiennent particulièrement à cœur :
– LA RECONNAISSANCE DE LA SOUFFRANCE MORALE ET DES PRÉJUDICES SUBIS par les familles et en particulier par les enfants mineurs au moment des faits. Dans le volumineux dossier remis à M. Diefenbacher, nous avons fourni toutes les pièces à conviction irréfutables pour étayer notre point de vue. Ce parlementaire conclut : « Il est essentiel de tout faire pour répondre à l’attente si légitime, si forte et si digne des familles et des associations ». Beaucoup de chemin reste néanmoins à parcourir pour que, de la prise de conscience des faits, on aboutisse au passage obligé d’une légitime réparation.
– LA CRÉATION D’UNE COMMISSION MIXTE, plus élargie que le « Comité des sages » préconisé par M. Diefenbacher, chargée d’établir un CATALOGUE des ATTENTES des FAMILLES, lesquelles, de ce fait, doivent impérativement siéger dans cette commission et s’exprimer.
– LE DROIT DE SAVOIR, ce droit est désormais inscrit dans toute société du xxie siècle, revendiqué dans tous les pays et dans tous les domaines, politique, judiciaire, même en matière de santé le patient réclame le « droit de savoir » qu’aucun praticien n’est légalement en mesure de lui refuser. Les familles des portés disparus ont le DROIT DE SAVOIR et donc de CONNAÎTRE avec certitude et précision : les circonstances de l’enlèvement, les conditions de détention des enlevés portés disparus, les circonstances et la date de l’exécution ou de la mort, les lieux d’inhumation des dépouilles (charniers et ossuaires).
– LA RECONNAISSANCE DE LA SOUFFRANCE MORALE ET DES PRÉJUDICES SUBIS par les familles et en particulier par les enfants mineurs au moment des faits. Dans le volumineux dossier remis à M. Diefenbacher, nous avons fourni toutes les pièces à conviction irréfutables pour étayer notre point de vue. Ce parlementaire conclut : « Il est essentiel de tout faire pour répondre à l’attente si légitime, si forte et si digne des familles et des associations ». Beaucoup de chemin reste néanmoins à parcourir pour que, de la prise de conscience des faits, on aboutisse au passage obligé d’une légitime réparation.
– LA CRÉATION D’UNE COMMISSION MIXTE, plus élargie que le « Comité des sages » préconisé par M. Diefenbacher, chargée d’établir un CATALOGUE des ATTENTES des FAMILLES, lesquelles, de ce fait, doivent impérativement siéger dans cette commission et s’exprimer.
– LE DROIT DE SAVOIR, ce droit est désormais inscrit dans toute société du xxie siècle, revendiqué dans tous les pays et dans tous les domaines, politique, judiciaire, même en matière de santé le patient réclame le « droit de savoir » qu’aucun praticien n’est légalement en mesure de lui refuser. Les familles des portés disparus ont le DROIT DE SAVOIR et donc de CONNAÎTRE avec certitude et précision : les circonstances de l’enlèvement, les conditions de détention des enlevés portés disparus, les circonstances et la date de l’exécution ou de la mort, les lieux d’inhumation des dépouilles (charniers et ossuaires).
La réponse, en clair, aux questions que se posent plus de 40 ans après les familles des disparus pourra seule mettre un terme aux fantasmes qui hantent encore certaines d’entre elles : « il y aurait encore des prisonniers reclus au fin fond du Sahara, des hôpitaux clandestins etc… ». La vérité depuis si longtemps réclamée et enfin assénée sera aussi insupportable et douloureuse pour certains qu’une exhumation. Cela en sera une, quelque part, dans les têtes et dans les cœurs des familles de disparus. Mais c’est à ce prix que pourra enfin être mené à bien un travail de deuil jusque-là inabouti par la force des choses, et le chagrin, même ravivé, ne sera pas pire que de s’être laissé enliser dans le silence et les sables mouvants de l’oubli. Beaucoup reste à faire pour que s’applique le droit de savoir, pour que des réponses décodées soient apportées à nos attentes, pour que la vérité ne soit pas occultée. Reste aussi l’espoir que tous les témoins de l’horreur et du drame des enlevés à tout jamais, auront le courage de nous aider désormais à mener à bien une mission difficile mais pas impossible. À force de volonté, de persévérance, de fidélité aux souvenirs, nous rendrons ainsi à nos « portés disparus » la dignité de leur mort et l’honneur perdu dans la tragédie d’une terre brutalement étrangère.
Georges Santerre avait 28 ans.
Georges Santerre avait 28 ans.