François Pérez

Le 7 juillet 1962, 
Sur la route de Perrégaux

Témoignage de son petit-neveu Raymond Pérez.

Perrégaux… 7 juillet 1962. Fin de matinée, soleil incandescent, lumière blanche, journée noire, cœur en berne. J’avais 11 ans, orphelin de père depuis les Rameaux. Je passais voir mon oncle maternel Pierre Gilberté à la maisonnette du passage à niveau sur la route de Sainte-Eugénie. Nous décidons lui et moi d’aller voir mon grand-oncle paternel dont nous n’avions plus de nouvelles, à Sainte-Eugénie, hameau de Perrégaux. Nous partîmes en vélosolex et nous parcourûmes en toute quiétude, les quelques kilomètres qui nous séparaient du village. Mon grand-oncle, François Pérez, surnommé « Fracito », est né vers 1880 (1880 étant la date de naissance de mon grand-père, son frère, donc, il peut être né avant ou après) à Saint-Denis-du-Sig, au sud de Perrégaux. Cultivateur, il occupait seul, la ferme de mes grands-parents paternels décédés. Le soleil montait dans le ciel. La chaleur et la lumière devenaient de plus en plus oppressantes et angoissantes. Enfin, la ferme apparaît au bout de la route ; l’angoisse nous gagnait ; pas âme qui vive depuis que nous étions partis. Nous pénétrâmes à pied dans la magnifique allée de rosiers en arcades à gauche de la route qui nous menait à la véranda de la maison. Le malheur, la mort ou le diable nous avaient précédés. La porte était grande ouverte, le vieil homme avait disparu. La lumière devint noire, la chaleur glacée, le soleil aussi ; dans ma tête, un grand trou noir. Ce sont les images et les sensations gravées au fond de mon âme ou de mon subconscient. Massacré sur la route le menant à pied à Perrégaux, vidé de son sang (sang qui alimentait depuis le 19 mars les hôpitaux clandestins du F.L.N.). Un oncle paternel, Antoine Pérez, qui est encore vivant mais malade, a fait des recherches par la suite pendant des années. Il n’a pas déclaré la disparition, ne sachant où s’adresser. Très estimé par la population musulmane du village, le pauvre corps a été recueilli et enterré dans leur cimetière. Le livret de famille de mes grands-parents paternels a brûlé dans le cadre où il se trouvait au port de Marseille, incendié par les dockers. Je ne connais pas la date de naissance exacte de cet oncle « Fracito ». Ceci pour que son nom apparaisse quelque part, comme sur un cénotaphe. Aujourd’hui encore, parfois, en été, j’ai froid et mes cauchemars sont rouges et noirs.

François Pérez avait environ 82 ans.