Pierre Calmon

Le 20 août 1961,
Boufarik

Témoignage de son épouse, Marguerite Calmon.

Inutile de vous dire quelle est ma douleur immense de revivre cet affreux drame que je vis depuis quarante-trois ans avec mes enfants. Mon mari et moi sommes Pieds-Noirs. Nous avions une propriété à Boufarik dans la plaine de la Mitidja et nous étions heureux avec nos trois enfants, lorsque ce jour du 20-août 1961, fut un affreux drame pour nous.

Ce dimanche soir, à 6-heures, nous étions dans notre maison, mon mari lisait son journal, et moi j’étais dans une chambre pour allaiter mon fils qui avait six mois lorsque, brusquement, un groupe de cinq musulmans en tenue de paras, a fait irruption dans notre maison-; ils se sont dirigés tout de suite vers mon mari et lui ont attaché les mains derrière le dos, mais ne l’ont pas bousculé. Je me suis approchée de mon mari avec mon fils dans les bras et là, ils ont dirigé une mitraillette vers moi en me demandant de leur remettre toutes les armes que nous avions, puis ils ont fouillé la maison et ont arraché les fils du téléphone. Ensuite, ils sont repartis en emmenant mon mari avec eux. Dans des moments comme ceux-là, on ne réalise pas ce qui vous arrive. Je l’ai suivi, mon fils toujours dans les bras et ma fille de cinq ans près de moi (ma fille aînée de sept ans n’était pas avec nous ce jour-là). Ils partaient dans une orangeraie que nous avions près de la maison et je les suivais toujours, quand un musulman s’est retourné vers moi, pour me demander de m’en aller, sinon « il me descendait ». Quand mon mari a entendu cette phrase, il s’est retourné vers moi en me disant : « retourne à la maison, fais leur confiance » (car quand ils l’ont emmené, ils m’ont répondu qu’ils le relâcheraient). Personne à part moi, ne peut savoir ce qui nous arrive à ce moment-là, alors j’ai mis mes deux enfants dans la voiture et je suis partie à la gendarmerie du village pour porter plainte, mais les gendarmes ont mis beaucoup de temps pour revenir à la ferme avec moi. Vous pensez que les ravisseurs étaient déjà loin dans la nature. C’est affreux d’avoir à se remémorer cette terrible tragédie, mais j’espère que la France ne tardera pas à nous dire au bout de quarante ans, ce que tous ces disparus sont devenus pour pouvoir un jour enfin, faire mon deuil. De vivre comme cela, sans savoir, c’est horrible et personne ne peut comprendre cette douleur que j’aurai jusqu’à la fin de mes jours…

Pierre Calmon avait 34 ans.