Mars 1958,
Aïn-Fekan
Témoignage d’une amie de la famille, Mme Colette Andrès-Bonafos.
Votre demande de renseignements concernant les disparitions de personnes en Algérie, m’amène à vous relater les faits suivants, qui ont touché la famille d’une de mes amies. Son malheur fut si grand ! Elle n’a jamais fait le deuil de la disparition de sa famille, elle a enfoui ses souvenirs, refusant de les évoquer, d’en parler, d’écrire, de raconter… Je le fais pour elle, n’acceptant pas de laisser disparaître une seconde fois ces êtres dans les mensonges et l’oubli de l’histoire « officielle ».
Près d’Aïn-Fekan, dans la ferme « Manuel », vivait la famille Martinez : le père, Augustin Martinez ; la mère, Conception Martinez, née Lopez ; Marie-Jeanne Martinez, 8 ans ; Marguerite Martinez 4 ans. Jacqueline Martinez, 16 ans, mon amie vivait à Paris chez le propriétaire de la ferme, employée comme femme de ménage, servante… Une sœur aînée, mariée, enceinte, vivait dans son foyer avec son époux. En mars 1958, la ferme fut attaquée et les quatre membres de cette famille vivant en ces lieux disparurent. Des ossements humains calcinés ont été retrouvés dans les cendres d’une meule de paille, mais des ossements d’adultes (probablement ceux des parents). Les deux petites sœurs ont été certainement enlevées ; une chaussure d’enfant ayant été retrouvée sur le chemin quittant la ferme. La sœur aînée ayant accouché peu de temps après ce drame et très choquée par l’extermination de sa famille est morte pendant l’accouchement. Jacqueline est restée, à 16 ans, seule au monde ! Une de ses tantes l’a recueillie… Seule survivante d’une famille de six personnes dont quatre enfants ! Elle s’est mariée à Saïda, et vit aujourd’hui en Avignon, entourée de ses deux enfants et petits-enfants, mais blessée à vie… Un rapport de gendarmerie relatant ces exactions a été instruit.
Nous n’avons pas l’âge d’Augustin et Conception Martinez.